À quelques jours de son dénouement et à la surprise générale, Le Tour 2019 aura été mené par un Français, Julian Alaphilippe. Personnage atypique, nous avons lu ce matin un portrait écrit par Pierre Godon sur francetvinfo.fr. 

« Ça, c’est de la graine de champion ! »

Selon la légende, peut-être un peu enjolivée, ce sont les premiers mots de Marie-Thérèse, la sage-femme qui a aidé la maman de Julian Alaphilippe à accoucher, le 11 juin 1992 à Saint-Amand-Montrond (Cher).

Vingt-sept ans plus tard, le gamin porte le maillot jaune du Tour de France depuis dix jours en faisant la nique aux favoris de l’équipe Ineos. Mais il s’en est passé de belles depuis la maternité.

© A.S.O. / Pauline Ballet

Un coureur brut de décoffrage

Au sein de la génération montante du cyclisme français, Julian Alaphilippe détonne. Le coureur de l’équipe Deceuninck-Quick Step n’a pas été biberonné au compteur de watts ou au capteur de puissance. Au contraire. Jusqu’à ses 25 ans, il n’avait pas de compteur de watts sur son vélo, raconte L’Equipe en 2017.

Quand son coach lui transmettait un programme d’entraînement, il avait tendance à minimiser les kilomètres à parcourir, car il savait que Julian allait en faire deux fois plus.

« Je n’ai pas besoin d’analyser au millimètre ce que je fais, ce que je bois, ce que je mange. J’aime le vélo tel que je le pratique depuis toujours, en écoutant mon envie et mon instinct. »

Compteur ou pas, le Montluçonnais traîne une réputation d’énorme bosseur dans le peloton, qui n’est pas usurpée. En atteste une sortie mémorable de 315 bornes au printemps 2016 juste après s’être remis d’une mononucléose…

Revers de la médaille, il a mis un certain temps à ingérer quelques principes de base du métier de coureur professionnel, raconte au Télégramme un de ses anciens équipiers, Julien Gonnet :

« Il ne faisait pas trop attention à son alimentation et, une fois, alors qu’il avait dîné, je l’ai surpris dans sa chambre sur le point d’ingurgiter une tartine de Nutella. Elle n’a pas eu le temps de descendre dans son estomac. Je la lui ai enlevée de la bouche ! »

Il a failli être batteur… et mécano

Dans la famille Alaphilippe, je demande le père. A la tête de son orchestre, « Jo » a fait guincher tout le Berry dans les bals populaires, et même la première partie d’un petit jeune qui montait, un certain Johnny Hallyday. De cette passion pour la musique – « on ne parle pas du tout vélo à la maison », confie le coureur – lui est restée une furieuse passion pour la batterie. Trois ans de conservatoire ne lui faisaient pas peur, les cours de solfège ultra-scolaire, un peu plus. Comme ça ne marchait pas trop à l’école, ses parents décide de le retirer à 14 ans, pour lui faire passer un CAP de mécanique.

Concrètement, le gros de sa semaine, le jeune Julian Alaphilippe le passe dans un magasin de cycles. Franck, son coach de cousin, raconte au Parisien :

« Même si le patron était une connaissance, il ne lui a jamais fait de cadeaux, Julian était en équipe de France junior de cyclo-cross et même s’il partait disputer une Coupe du monde à l’étranger le dimanche, il devait être au magasin le lundi matin. Le soir, il finissait à 19 heures, il devait faire ses heures, point… Tout ça l’a forgé. »

Une première échappée à 11 ans

Dans la famille Alaphilippe, on ne roulait pas sur l’or, alors quand les enfants ont commencé à rêver de vélo, c’est un modèle d’occasion avec pas mal de kilomètres au compteur qui a débarqué. Il était « très pourri, dix fois trop grand, et pour moi, c’était une Ferrari », raconte Julian au magazine Pédale.

« Et j’avais dit à ma mère, ‘je vais aller à Saint-Amand voir tonton’. Elle n’y croyait pas, bien sûr, mais je suis parti avec un sac à dos, une bouteille d’eau dedans… Imagine, tu vois un gamin de 11 ans rouler cinquante bornes sur la nationale, avec un énorme vélo Motobécane, la selle baissée, les vitesses au niveau des mollets… »

Forcément, une fois chez Tonton, quand Julian a prévenu sa mère.

« Elle a un peu pété les plombs. (…) Ce jour-là, je pense que mes parents ont vu que j’avais vraiment la rage. »

Pour la petite histoire, Julian Alaphilippe ne courra sur un vélo dernier cri que lors de son passage chez les semi-pros. Steve Chainel, un vieux routier du peloton, qui organise une épreuve de cyclo-cross dans les Vosges, se souvient bien de la première rencontre avec le futur crack : « Il avait un seul vélo et un casque vieux de quatre ans. Il faisait pauvre, le gamin ! »

© A.S.O. / Pauline Ballet

Une révélation sous les drapeaux

Malgré ses qualités, les équipes ne se bousculent pas pour recruter l’espoir du club de Montluçon (Allier), vice-champion du monde 2010 de cyclo-cross, battu d’un boyau par le régional de l’étape lors des Mondiaux de Tabor, en République tchèque. La faute à une blessure au genou qui fait craindre qu’il soit perdu pour la petite reine. Avant d’être remis en selle par l’équipe de l’armée de terre qui décide de le loger, le nourrir, le blanchir… et le payer 1 200 euros par mois. « Il me répond : ‘C’est trop' », raconte à Libération le directeur sportif (et lieutenant) de l’équipe David Lima Da Costa. Il avait peur de ne pas gagner assez de courses pour nous remercier. C’était en effet un bon revenu pour un cycliste amateur, mais qui correspondait au traitement d’un soldat de deuxième classe. »

« L’armée, ça m’a fait grandir, je ne regrette pas du tout, même si j’ai eu des moments durs. Ça devrait être obligatoire le service militaire, ça ferait beaucoup de bien à certains »

Résumera-t-il dans Pédale. Quand l’équipe Quick Step le courtise, deux ans plus tard, il hésite même à s’engager. « J’ai été le seul à voir tout le talent de Julian Alaphilippe« , se gargarise le directeur sportif de l’équipe belge, Patrick Lefevere, bien qu’on trouve trace d’un vague intérêt de la FDJ de Marc Madiot.

Un électron libre du peloton

© A.S.O. / Pauline Ballet

Dans un milieu du cyclisme sur route un peu formaté, Julian Alaphilippe le boute-en-train détonne, comme le fantasque Peter Sagan quelques années avant lui. Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux gaillards viennent du milieu plus cool du cyclo-cross. Quand Alaphilippe portait les couleurs de l’équipe de l’armée de terre – le projet a été dissous par Florence Parly une fois arrivée au gouvernement –, il organise une course de Vélib sur les Champs-Elysées après une réception aux Invalides. Et une montée des marches du Trocadéro, bécane de 24 kg sur l’épaule, aussi serein que dans un sous-bois vosgien.

Dans son livre Equipiers, l’écrivain Grégory Nicolas, « embeddé » avec l’équipe de France lors des Mondiaux d’Innsbruck en 2018 en Autriche, raconte que le Zébulon des Bleus a failli lourdement chuter… en faisant un « wheeling » (une figure qui consiste à rouler sur la roue arrière) dans un parking à la veille de l’épreuve. Tout ça pour faire rire ses équipiers. « Il a continué à sourire, et est parti prendre sa douche comme s’il revenait de la plage. Quel personnage ! » raconte l’auteur.

Le naturel revient au galop, même face au président de la République. Le coureur n’hésite pas à lui lancer de mettre le champagne au frais pour l’arrivée sur les Champs quand ce dernier lui remet le maillot jaune, le 20 juillet, à l’issue de l’étape du Tourmalet.

Une machine que rien n’arrête

A votre avis, que s’est-il passé, le 15 juillet 2016 après le crash de Julian Alaphilippe lors du contre-la-montre entre Bourg Saint-Andéol et la caverne du pont d’Arc sur le Tour ? Le coureur n’a pas fait de miracle le soir-même en concédant sept minutes au vainqueur du chrono. Mais deux jours après avoir mordu la roche, il passait à l’attaque dans une étape de haute montagne – pas sa spécialité à la base – et frôlait la victoire.

© A.S.O. / Pauline Ballet

« Je crois que la seule course qu’il ne peut pas gagner, c’est Paris-Roubaix, car il est trop léger. Mais je n’en suis même pas sûr », estime son directeur sportif Patrick Lefevere dans Cyclingnews. Le déclic se produit quelques jours après son arrivée à la Quick Step, au sein d’une équipe qui compte des cadors comme Philippe Gilbert ou Tom Boonen. Il décide d’appeler son cousin, Franck Alaphilippe, qui l’entraînait depuis toujours, pour qu’il remplace le coach belge de la Quick Step. Il raconte la suite au Télégramme: « ‘Ça ne va pas le faire, Franck. Je continue avec toi. Je ne veux pas passer des heures à leur expliquer ce qui va ou ce qui ne va pas. Toi, tu me connais par cœur.’ C’est vrai que notre échange va bien au-delà d’un rapport entraîneur-entraîné. » Sa première victoire – au Tour de l’Ain – suit, quelques mois plus tard. Depuis, il ramène une dizaine de bouquets chaque année. Seule une poignée de coureurs peuvent en dire autant.

 

Source : https://www.francetvinfo.fr/sports/tour-de-france/tour-de-france-velo-pourri-nutella-batterie-on-vous-presente-julian-alaphilippe-le-coureur-qui-voit-la-vie-en-jaune_3549405.html

 

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